Objet : Les médecins et le Code des droits de la personne de l’Ontario
Résumé [En Anglais]
La Commission ontarienne des droits de la personne a commis une grave erreur en 2008 lorsqu’elle a tenté d’éliminer la liberté d’opinion et la liberté de religion de la profession médicale sous prétexte que les médecins sont des « fournisseurs de services publics laïcs ». Dans son interprétation publique de cette erreur, la Commission a largement contribué à la diffusion d’un esprit antireligieux et à la création d’un climat d’intolérance religieuse en Ontario. Ces deux phénomènes ont fait la manchette et ont été l’objet d’un scandale public plus tôt cette année lorsque trois médecins ont dit à leurs patients qu’ils ne recommanderaient, n’offriraient ou ne feraient pas ce qu’ils jugent immoral, contraire à l’éthique ou néfaste.
Ces médecins suivaient ainsi les directives de l’Association médicale canadienne et de l’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario. Les médecins doivent aviser leurs patients des traitements ou des procédures qu’ils refusent de leur recommander ou leur offrir pour motif moral ou religieux afin que ces derniers puissent recevoir des soins ailleurs. Les médecins ne sont pas tenus d’aider leurs patients à obtenir un service ou à suivre une procédure qu’ils jugent néfaste.
Ce compromis qui permet de protéger l’autonomie légitime des patients et de préserver l’intégrité des médecins est constamment attaqué par des activistes voulant contraindre les médecins à offrir ou à conseiller un avortement ou des moyens contraceptifs et, récemment, à pratiquer l’euthanasie alors qu’ils s’y objectent. Ces activistes croient essentiellement que les médecins ont le devoir de faire ce qu’ils tiennent comme étant mal, car ils ne doivent par agir en fonction de leurs convictions morales ou religieuses.
Il est toutefois incohérent d’inclure dans un code de déontologie le devoir de faire quelque chose considéré comme mal, puisque la nature même d’un tel code est d’encourager les médecins à agir de façon éthique et de prévenir les méfaits. De plus, il est impossible de pratiquer la médecine sans faire référence à des convictions, que celles-ci relèvent de l’éthique laïque ou religieuse, et ni une éthique laïque ni une éthique religieuse ne sont moralement neutres. Ainsi, demander que les médecins n’agissent pas en fonction de leurs convictions ou qu’ils pratiquent la médecine de manière moralement « neutre » est inacceptable, car cela est impossible.
Demander que les médecins n’agissent pas en fonction de leurs convictions religieuses puisque la médecine est une profession laïque est inacceptable, car cela est erroné. La Cour suprême du Canada a reconnu qu’une société laïque n’est pas sans foi; les personnes qui la composent peuvent avoir des convictions religieuses ou non, et un pluralisme démocratique rationnel doit accepter toutes ces personnes. La Court a mis en garde, en séance plénière, contre la défavorisation ou la suppression de la conscience au courant des aspects religieux des affaires publiques représente une distorsion mesquine des principes libéraux qui n’entraîne « qu’une piètre notion de pluralisme ».
S’il est légitime de contraindre des personnes ayant des convictions religieuses de faire ce qu’ils considèrent comme étant mal, il est donc également légitime de contraindre les personnes n’ayant pas de convictions religieuses à faire ce qu’ils considèrent comme étant mal. Ainsi, le compromis fait par l’Association médicale canadienne ne sert pas uniquement à protéger l’intégrité des médecins et l’autonomie légitime des patients, mais également à faire en sorte que la société ne soit pas tentée de croire en une idée dangereuse, à savoir qu’une classe, une profession ou une institution d’état privilégiée peut, de manière légitime, contraindre des gens à participer à des actes qu’ils jugent comme étant mal (même très mal, comme un meurtre) sous peine de représailles s’ils refusent.
La liberté d’opinion et la liberté de religion sont sujettes à des contraintes raisonnables, mais la maxime voulant que la liberté d’avoir des convictions soit plus large que la liberté d’agir en fonction de ces dernières est inadéquate. Il est nécessaire de faire appel à des distinctions plus précises pour affronter les difficultés d’une démocratie pluraliste. Une d’entre elles est la nuance entre les deux manières dont s’exerce la liberté d’opinion : en faisant le bien et en évitant le mal. Il existe une différence considérable entre le fait d’empêcher les gens à faire le bien qu’ils souhaitent faire et le fait de les contraindre à faire le mal qu’ils abhorrent.
De manière générale, il est fondamentalement injuste et offensant de contraindre des gens à soutenir, offrir ou participer à des actes qu’ils considèrent comme étant mal, et plus le méfait est grave, plus cette injustice ou cette offense est grave. Il s’agit d’une pratique fondamentalement opposée au civisme, lequel permet de maintenir une communauté politique et de favoriser une justice forte. Elle va à l’encontre des meilleures traditions et des aspirations d’une démocratie libérale. Elle est de plus dangereuse, car elle encourage une attitude plus près de régimes totalitaires que des demandes qui caractérisent une liberté responsable.
Cela ne veut pas dire pour autant qu’il ne faille pas imposer de limites à la liberté d’opinion exercée pour préserver l’intégrité personnelle. Cela veut par contre dire que même l’approche stricte visant à imposer des limites à d’autres libertés et droits fondamentaux n’est pas assez précise pour pouvoir être appliquée sans danger ici. à l’instar de l’utilisation d’une force potentiellement mortelle, la restriction de la liberté d’opinion à des fins de protection ne peut être justifiée qu’en dernier recours et uniquement dans des circonstances exceptionnelles.
Lorsque l’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario reçoit des plaintes de patients qui n’ont pas pu obtenir les services qu’ils voulaient, il devrait aider ceux-ci à les mettre en contact avec des fournisseurs prêts à leur offrir ces services. Ceci sera plus constructif que de tenter d’éliminer la liberté d’opinion et la liberté de religion de la profession médicale. [Demande]